Si, cette année, le Palais Brongniart n'accueille aucun dessin du XVIe siècle français, deux petites feuilles rappellent ce que fut la gloire de la Renaissance, les inventions des maîtres parisiens inspirés par Fontainebleau et le portrait au crayon des Clouet et des frères Dumonstier.
La première est le portrait du poète Pierre (ou Louis) Le Hayer, sieur Du Perron. Né à Alençon d'une famille de magistrats, il fut conseiller et procureur du roi au bailliage d'Alençon, mais se rendit célèbre pour ses traductions d'ouvrages espagnols et poésies pieuses ou érotiques. Passé par Christie's, le dessin a eu les honneurs de la TEFAF et vient maintenant à Paris pour attester de la maestria du dernier des Dumonstier. De format inhabituel - un quart de la feuille seulement - c'est une image d'ami, tirée rapidement en quelques heures. Le jeune poète, fort du succès de sa tragi-comédie Les Heureuses adventures et tout à l'écriture de son monumental poème historique de neuf livres Les Palmes du Juste [...] où par l'ordre des
années sont contenues les immortelles actions du tres-chrestien [...] Louys
XIII depuis sa naissance jusques au retour de Monseigneur le Duc
d'Orléans, frère unique de sa Majesté, pose en toute simplicité, sans prétention aucune, un léger sourire aux lèvres. Il s'agit peut-être d'une esquisse pour une gravure destinée à ouvrir l'ambitieux ouvrage de Pierre Le Hayer, finalement orné par le portrait de Louis XIII d'après le dessin du même Daniel Dumonstier.
Londres, Day & Faber.
Le second dessin, exposé par Jean-Luc Baroni, est très curieux. C'est un projet de caisson d'un plafond peint avec un encadrement de stuc feint. Le sujet est rare - on lui préfère la Vision de Constantin qui avait lieu la veille en plein jour, ou la bataille du pont Milvius -, mais aucun doute n’est permis quand à sa lecture. L’empereur, barbu à la grecque, dort paisiblement sous une tente romaine, sa cuirasse musclée et son casque à plumet posés à côté de son lit de camp. Un pan de la tente est enroulé autour d’un mât, l’autre est posé sur la branche d’un arbre. À l’arrière plan, plusieurs tentes éclairées par la lune, et, au loin, des montagnes et un château. Un angelot nu et joufflu vole au dessus de l’homme. Dans sa main droite, une banderole qui devait recevoir la parole divine « in hoc vince ». Il pointe son index gauche vers le ciel qui s’ouvre sur un ange exalté, cheveux au vent, portant une grande croix.
École française du début du XVIIe siècle, Le Songe de Constantin. Esquisse pour plafond à compartiments. Vers 1610. Plume et encre brune, lavis gris sur papier. H. 0,372 ; L. 0,216.
Londres, Jean-Luc Baroni.
À première vue, la composition toute en hauteur et les tentes serrées les unes derrière les autres font penser à Piero della Francesca, mais en réalité la comparaison s’arrête là. D’abord, Constantin est seul. Aucun page, sentinelle ou aide de camp ne veille sur son sommeil. Il n’a pas de couverture, comme les dormeurs antiques et ceux des œuvres maniéristes. Mais surtout, la parole de Dieu figure sur une banderole, selon l’iconographie septentrionale telle qu’on la retrouve dans les vitraux du début du XVIe siècle. Toutefois, ici, l’ange porteur du message et de la croix se dédouble comme pour rappeler la croix apparue dans le ciel la veille, en plein midi. Autre divergence de taille : dans les vitraux renaissants, l’empereur avait les yeux ouverts et parfois s’avançait même vers l’ange, dialoguait avec lui. Dans notre dessin, non seulement Constantin dort profondément, mais il n’est même pas tourné vers sa vision. C’est véritablement un rêve et non une apparition réelle, et l’on pense notamment au Songe d’Énée de Nicolò dell’Abate. Mais si le Troyen est lui aussi détourné de la scène irréelle qui s’ouvre derrière lui, il n’est pas totalement abandonné à son sommeil : son buste est tourné vers le spectateur, sa tête repose sur sa main, le coude posé d’une manière fort instable sur le genou du Tibre. Il est presque demi-assis comme le sont d’ordinaire les rêveurs dans l’art du XVIe siècle. A contrario des usages, point d’affectation dans la pose de Constantin, très naturelle, en chien de fusil, d’un homme fatigué de sa journée et heureux de retrouver le lit. Son bras gauche est glissé sous son coussin et son bras droit pèse lourdement sur les draps prêt à glisser. Contraste d’autant plus saisissant avec l’attitude acrobatique et contorsionné de l’angelot, dangereusement maintenu en l’air par des ailes toutes frêles.
Dans ces corps anguleux aux coudes et talons pointus, dans ces contours sinueux, dans ces lignes brèves, dans ces « virgules » qui marquent les muscles, dans ce remplacement quelque peu incongru d’un ange par un putto potelé bât le cœur du maniérisme européen. Certes, l’anatomie parfois approximative (notamment des mains) et la disposition peu vraisemblable du lit de camp ou du mât ne permettent pas de voir ici le travail d’un maître affirmé. Mais le rendu des formes et les jeux de lumière ne sont pas sans rappeler certaines feuilles de Jean Cousin Père, sans la maîtrise des volumes de l’artiste parisien ni l’invention tourbillonnante qui caractérise les créations bellifontaines dans le sillage de Primatice et de Nicolò dell’Abate. Par ailleurs, dans ces aplats de lavis gris larges et sombres, dans la pose très simple de Constantin, dans l’équilibre général de la composition qui met en parallèle les deux corps de l’empereur et de l’ange, dans ces espaces vides se voit déjà l’art posé et réfléchi du XVIIe siècle.
Comme l’image elle-même, l’encadrement se situe à la frontière entre la seconde école de Fontainebleau de Toussaint Dubreuil et les ornements du début du règne de Louis XIII, une sorte de décor bellifontain assagi et adapté aux goûts du début du XVIIe siècle. Malheureusement, il ne semble pas possible de retrouver ni le nom de l’artiste – un Français ou un Flamand influencé par Fontainebleau qui aurait probablement fait un voyage en Italie, mais resté somme toute assez peu concerné par les inventions du XVIIe siècle – ni celui du commanditaire, propriétaire de l’appartement qui devait recevoir le plafond. Parmi le peu de décors subsistants de cette période, aucun ne correspond à notre projet. Et il n’y a ici ni initiales, ni devises, ni armoiries, exception peut-être faite des têtes de lions. De plus, l’historique du dessin est également énigmatique, puisqu’il se résume à la marque PH estampée à l’encre noire dans le coin inférieur droit. Cette marque rappelle beaucoup, par sa forme et ses dimensions, celle de Prosper Henry Lankrink (PHL, Lugt no 2090). Mais les lettres sont inclinées, la barre horizontale du L manque et le P est légèrement plus éloigné du H. Un dessin du Louvre attribué au Maître des Albums Egmont porte la marque identique.
Si nous ne pouvons avancer aucun nom, le choix du sujet fait néanmoins croire que le commanditaire fut un grand militaire, sans doute catholique et accordant beaucoup d’importance aux questions de la foi. La question des autres compartiments du plafond reste également ouverte. Sujet isolé, le Songe de Constantin aurait toute sa place dans une chambre, mais environné d’autres scènes issues de la vie de Constantin ou de la légende de la Vraie Croix, il prendrait une signification tout autre, et pourrait se placer dans un oratoire, mais également dans une pièce d’apparat. Il n’en demeure pas moins que c’est un dessin rare, peut-être maladroit par endroits, mais touchant et surtout évocateur des errements du style entre la fin de l’école de Fontainebleau et le grand renouveau du règne de Louis XIII.
Dans ces corps anguleux aux coudes et talons pointus, dans ces contours sinueux, dans ces lignes brèves, dans ces « virgules » qui marquent les muscles, dans ce remplacement quelque peu incongru d’un ange par un putto potelé bât le cœur du maniérisme européen. Certes, l’anatomie parfois approximative (notamment des mains) et la disposition peu vraisemblable du lit de camp ou du mât ne permettent pas de voir ici le travail d’un maître affirmé. Mais le rendu des formes et les jeux de lumière ne sont pas sans rappeler certaines feuilles de Jean Cousin Père, sans la maîtrise des volumes de l’artiste parisien ni l’invention tourbillonnante qui caractérise les créations bellifontaines dans le sillage de Primatice et de Nicolò dell’Abate. Par ailleurs, dans ces aplats de lavis gris larges et sombres, dans la pose très simple de Constantin, dans l’équilibre général de la composition qui met en parallèle les deux corps de l’empereur et de l’ange, dans ces espaces vides se voit déjà l’art posé et réfléchi du XVIIe siècle.
Comme l’image elle-même, l’encadrement se situe à la frontière entre la seconde école de Fontainebleau de Toussaint Dubreuil et les ornements du début du règne de Louis XIII, une sorte de décor bellifontain assagi et adapté aux goûts du début du XVIIe siècle. Malheureusement, il ne semble pas possible de retrouver ni le nom de l’artiste – un Français ou un Flamand influencé par Fontainebleau qui aurait probablement fait un voyage en Italie, mais resté somme toute assez peu concerné par les inventions du XVIIe siècle – ni celui du commanditaire, propriétaire de l’appartement qui devait recevoir le plafond. Parmi le peu de décors subsistants de cette période, aucun ne correspond à notre projet. Et il n’y a ici ni initiales, ni devises, ni armoiries, exception peut-être faite des têtes de lions. De plus, l’historique du dessin est également énigmatique, puisqu’il se résume à la marque PH estampée à l’encre noire dans le coin inférieur droit. Cette marque rappelle beaucoup, par sa forme et ses dimensions, celle de Prosper Henry Lankrink (PHL, Lugt no 2090). Mais les lettres sont inclinées, la barre horizontale du L manque et le P est légèrement plus éloigné du H. Un dessin du Louvre attribué au Maître des Albums Egmont porte la marque identique.
Si nous ne pouvons avancer aucun nom, le choix du sujet fait néanmoins croire que le commanditaire fut un grand militaire, sans doute catholique et accordant beaucoup d’importance aux questions de la foi. La question des autres compartiments du plafond reste également ouverte. Sujet isolé, le Songe de Constantin aurait toute sa place dans une chambre, mais environné d’autres scènes issues de la vie de Constantin ou de la légende de la Vraie Croix, il prendrait une signification tout autre, et pourrait se placer dans un oratoire, mais également dans une pièce d’apparat. Il n’en demeure pas moins que c’est un dessin rare, peut-être maladroit par endroits, mais touchant et surtout évocateur des errements du style entre la fin de l’école de Fontainebleau et le grand renouveau du règne de Louis XIII.