jeudi 20 mars 2014

Portrait de Bernard Nogaret de La Valette par Pierre Dumonstier l'Aîné en vente chez Koller le 28 mars

Lot 3026. PIERRE DUMONSTIER (um 1543 Paris 1601) Bildnis des Bernard de Nogaret, Seigneur de La Valette. Um 1584-1585. Kohlestift und Rötel auf Papier. 34 x 24 cm. Estimate: CHF 75,000-90,000 (€62,500-75,000)


Pierre Dumonstier l’aîné (vers 1553 - Paris, 1601)
Bernard Nogaret, seigneur de La Valette, amiral de France (1553-1592)
Vers 1584-1585

Pierre noire et sanguine sur papier. Dans les cheveux, la pierre noire et la sanguine sont détrempées à l’eau. Rehauts d’aquarelle bleu dans le ruban de l’Ordre (ternie).
H. 0,340 ; L. 0,240.
Vente Koller, Zurich, 28 mars 2014, lot 3026.



Ce superbe dessin représente un gentilhomme français, la belle trentaine, vêtu d’une armure damasquinée qui laisse dépasser le col blanc du pourpoint et coiffé à la mode du milieu des années 1580 : cheveux courts et relevés, barbe taillée en pointe, moustache retroussée. Le ruban bleu de l’Ordre de Saint Esprit orne sa poitrine. Il regarde calmement, mais fièrement le spectateur et un sourire à peine perceptible semble animer ses lèvres.
Il s’agit de Bernard Nogaret, seigneur de La Valette, amiral de France et frère du duc d’Épernon, le grand favori de Henri III. L’identité est confirmée par trois images : une huile sur bois conservée à Versailles, identique au crayon et annotée ; la gravure de Léonard Gaultier qui fait partie d’une grande planche intitulée Portraictz de plusieurs hommes illustres qui ont fleury en France depuis l’an 1500 jusques à présent (dite Chronologie collée) éditée en 1602 (le portrait de l’amiral y porte le numéro 41 et la seule différence avec le crayon est qu’il y est figuré en habit de cour et non en armure) ; le tableau de la galerie des Illustres du château de Beauregard avec un col plus grand et en vêtement noir.
La facture crispée du tableau de Versailles ne permet pas d’y voir la peinture préparée par le présent dessin, mais plutôt une copie d’atelier d’après le tableau disparu du maître. L’œuvre est conçue comme le pendant du portrait du duc d’Épernon dont le dessin préparatoire original est perdu : les deux frères regardent dans les directions opposées, l’aîné se plaçant ainsi à droite du cadet malgré les règles de la préséance qui aurait privilégié le duc. Tous deux posent en armure complète noire aux détails dorés et doublure festonnée de velours cramoisi, tous deux arborent l’Ordre de Saint Esprit, tous deux sont tête nue et fixent le spectateur. La qualité et les dimensions des deux panneaux conservés à Versailles sont également sensiblement proches.
L’auteur des deux portraits est Pierre Dumonstier l’aîné, mais seul l’examen du présent dessin permet de l’affirmer. La qualité du trait est remarquable, le soin des détails et notamment le traitement des yeux et de la chevelure révélateur d’un grand artiste. La main de Pierre Dumonstier s’y reconnaît immédiatement, avec sa précision, sa ligne fine et délicate, les volumes modelés à l’aide de traits très courts qui suivent les contours et épousent les formes. Digne élève de François Clouet, Dumonstier sut assimiler la technique de l’illustre portraitiste des rois de France, mais il possède un style propre, plus au goût de la société du règne de Henri III. Il retravaille notamment les chevelures de ses modèles avec un pinceau imbibé d’eau afin de les rendre plus vaporeuses et légères, et soigne davantage que son célèbre aîné les petits éléments du vêtement, comme ici les bords du plastron et des épaulières.
Les dessins de cette qualité sont extrêmement rares sur le marché d’art et peu de musées possèdent des œuvres équivalentes, car les destructions sont nombreuses en ce qui concerne les portraits français de l’époque des guerres de religion. Les meilleures pièces sont conservées à la Bibliothèque nationale de France, à l’Ermitage et au British Museum, mais il s’agit de quelques dessins seulement et la grande majorité des modèles ne peuvent pas être identifiés faute d’annotation ou quelque autre image conservée.



Le modèle
Bernard Nogaret (ou de Nogaret) de La Valette est le fils de Jean, baron de La Valette, issu de noblesse seconde peu fortunée de Gascogne, chevau-léger puis maître de camp, gouverneur de Castres, chevalier de l’Ordre de Saint-Michel, lieutenant général au gouvernement de Guyenne et gentilhomme ordinaire du roi dès 1574, et de Jeanne de Saint-Lary, sœur du maréchal de Termes, peu lettrée et jamais tentée par la vie de cour. Il est né en 1553, un an avant son frère Jean-Louis, appelé d’abord le sieur de Caumont. Envoyés en 1567 à Paris, les deux frères étudient durant trois ans au Collège de Navarre, puis entrent dans le métier des armes, servant dans la compagnie de leur père. Les biens de Jean de La Valette sont ravagés par les huguenots au début de 1570, et à sa mort en 1575, Bernard hérite de la seigneurie de La Valette en piteux état.
En 1573, au siège de La Rochelle, le duc de Guise présente Bernard et Jean-Louis à Henri de France, duc d’Anjou et futur Henri III, mais ils ne participent pas au voyage en Pologne et c’est bien après l’avènement du roi qu’ils entrent véritablement à son service. Car s’ils bénéficient, à la cour, de la réputation de leur père, ils ne parviennent pas à obtenir la survivance de ses charges. Jean-Louis finit par se mettre au service de François, duc d’Anjou, puis s’offre au roi qui l’apprécie et l’élève rapidement : à partir de 1579 il est déjà l’un des grands favoris ou mignons de Henri III avec Joyeuse et d’O. La position de plus en plus importante de son frère cadet profite beaucoup à Bernard qui devient gentilhomme ordinaire de la chambre, maître de camp de la cavalerie légère (1579), gouverneur de Saluces (1580), capitaine de cent hommes d’armes (1581), et entre dans le cercle très restreint des fidèles du roi, l’accompagnant souvent dans ses déplacements et ses retraites spirituelles. En 1582, Jean-Louis, duc d’Épernon depuis un an, devient premier gentilhomme de la chambre et cède à Bernard sa charge de chambellan. La même année, Bernard entre au Conseil des affaires qui ne compte que huit membres, dont Épernon, Joyeuse, Villequier, du Bouchage et Retz. Le 21 décembre 1583, La Valette est reçu dans l’Ordre de Saint Esprit (6e promotion). Mais c’est avant tout un militaire et il est plus souvent en campagne qu’à la cour.
Sa fortune est assurée grâce à ses pensions cumulées et aux divers dons royaux, telles les 200 000 livres tournois qu’il reçoit à l’occasion de son mariage, le 13 février 1582, avec Anne de Batarnay du Bouchage, dame d’Anton, tante du duc de Joyeuse. À l’occasion de ces noces, le roi tient la place du père de la mariée. Le contrat de mariage est rédigé selon les commandements du roi, et le jour de la cérémonie Anne reçoit de la reine mère des bijoux. Toutefois, les noces sont nettement plus modestes que celles de Joyeuse un an plus tôt. Malgré leur différence d’âge d’une douzaine d’années, Bernard et Anne semblent avoir été unis par un sincère attachement. Dans ses lettres, Joyeuse surnomme Bernard « nostre amoureus » et Anne paraît perdue lorsque son époux part en mission. Ils n’ont pas d’enfants. La Valette joue un rôle d’intermédiaire entre les deux lignages les plus influents à la cour.
L’officialisation, en 1585, du statut de favori de Joyeuse et d’Épernon et la place officieuse que tiennent leurs frères, du Bouchage et Bernard de La Valette, provoquent un mécontentement à la cour, et le départ de Bernard est exigé au même titre que celui de son frère cadet. Lieutenant général en Dauphiné dès 1585, il est à la tête de l’armée royale qui stationne dans la province et combat les protestants.
Obligé de quitter la cour en 1588 sous la pression de la Ligue à laquelle les deux frères sont fermement opposés, le duc d’Épernon cède à Bernard le gouvernement de Provence, puis celle de l’amiral de France, mais les États généraux ne lui permettent pas de cumuler les deux charges et le roi donne celle de l’amiral à Beauvais-Nangis dès février 1589. Sous Henri IV, Bernard reste fidèle au roi et prend la tête des opérations militaires en Provence. Il est tué au siège de Roquebrune d’un coup de mousquet, le 11 février 1592.