Pierre Dumonstier
l’aîné (vers 1553 - Paris, 1601)
Bernard Nogaret, seigneur de La Valette, amiral de France (1553-1592)
Vers 1584-1585
Pierre noire et sanguine sur papier. Dans les cheveux, la
pierre noire et la sanguine sont détrempées à l’eau. Rehauts d’aquarelle bleu
dans le ruban de l’Ordre (ternie).
H. 0,340 ; L. 0,240.
Vente Koller, Zurich, 28 mars 2014, lot 3026.
Ce superbe dessin représente un gentilhomme français, la
belle trentaine, vêtu d’une armure damasquinée qui laisse dépasser le col blanc
du pourpoint et coiffé à la mode du milieu des années 1580 : cheveux
courts et relevés, barbe taillée en pointe, moustache retroussée. Le ruban bleu
de l’Ordre de Saint Esprit orne sa poitrine. Il regarde calmement, mais fièrement
le spectateur et un sourire à peine perceptible semble animer ses lèvres.
Il s’agit
de Bernard Nogaret, seigneur de La Valette, amiral de France et frère du duc
d’Épernon, le grand favori de Henri III. L’identité est confirmée par trois images :
une huile sur bois conservée à Versailles, identique au crayon et annotée ;
la gravure de Léonard Gaultier qui fait partie d’une grande planche intitulée Portraictz de plusieurs hommes illustres qui
ont fleury en France depuis l’an 1500 jusques à présent (dite Chronologie collée) éditée en 1602 (le
portrait de l’amiral y porte le numéro 41 et la seule différence avec le crayon
est qu’il y est figuré en habit de cour et non en armure) ; le tableau de la galerie
des Illustres du château de Beauregard avec un col plus grand et en vêtement noir.
La facture
crispée du tableau de Versailles ne permet pas d’y voir la peinture préparée
par le présent dessin, mais plutôt une copie d’atelier d’après le tableau
disparu du maître. L’œuvre est conçue comme le pendant du portrait du duc
d’Épernon dont le dessin préparatoire original est perdu : les deux frères
regardent dans les directions opposées, l’aîné se plaçant ainsi à droite du
cadet malgré les règles de la préséance qui aurait privilégié le duc. Tous deux
posent en armure complète noire aux détails dorés et doublure festonnée de
velours cramoisi, tous deux arborent l’Ordre de Saint Esprit, tous deux sont
tête nue et fixent le spectateur.
La qualité et les dimensions des deux panneaux conservés à Versailles sont également
sensiblement proches.
L’auteur des deux portraits est Pierre Dumonstier l’aîné, mais seul l’examen du présent dessin permet de l’affirmer. La qualité du trait est remarquable, le soin des détails et notamment le traitement des yeux et de la chevelure révélateur d’un grand artiste. La main de Pierre Dumonstier s’y reconnaît immédiatement, avec sa précision, sa ligne fine et délicate, les volumes modelés à l’aide de traits très courts qui suivent les contours et épousent les formes. Digne élève de François Clouet, Dumonstier sut assimiler la technique de l’illustre portraitiste des rois de France, mais il possède un style propre, plus au goût de la société du règne de Henri III. Il retravaille notamment les chevelures de ses modèles avec un pinceau imbibé d’eau afin de les rendre plus vaporeuses et légères, et soigne davantage que son célèbre aîné les petits éléments du vêtement, comme ici les bords du plastron et des épaulières.
L’auteur des deux portraits est Pierre Dumonstier l’aîné, mais seul l’examen du présent dessin permet de l’affirmer. La qualité du trait est remarquable, le soin des détails et notamment le traitement des yeux et de la chevelure révélateur d’un grand artiste. La main de Pierre Dumonstier s’y reconnaît immédiatement, avec sa précision, sa ligne fine et délicate, les volumes modelés à l’aide de traits très courts qui suivent les contours et épousent les formes. Digne élève de François Clouet, Dumonstier sut assimiler la technique de l’illustre portraitiste des rois de France, mais il possède un style propre, plus au goût de la société du règne de Henri III. Il retravaille notamment les chevelures de ses modèles avec un pinceau imbibé d’eau afin de les rendre plus vaporeuses et légères, et soigne davantage que son célèbre aîné les petits éléments du vêtement, comme ici les bords du plastron et des épaulières.
Les dessins
de cette qualité sont extrêmement rares sur le marché d’art et peu de musées
possèdent des œuvres équivalentes, car les destructions sont nombreuses en ce
qui concerne les portraits français de l’époque des guerres de religion. Les
meilleures pièces sont conservées à la Bibliothèque nationale de France, à
l’Ermitage et au British Museum, mais il s’agit de quelques dessins seulement
et la grande majorité des modèles ne peuvent pas être identifiés faute
d’annotation ou quelque autre image conservée.
Le modèle
Bernard
Nogaret (ou de Nogaret) de La Valette est le fils de Jean, baron de La Valette,
issu de noblesse seconde peu fortunée de Gascogne, chevau-léger puis maître de
camp, gouverneur de Castres, chevalier de l’Ordre de Saint-Michel, lieutenant
général au gouvernement de Guyenne et gentilhomme ordinaire du roi dès 1574, et
de Jeanne de Saint-Lary, sœur du maréchal de Termes, peu lettrée et jamais
tentée par la vie de cour. Il est né en 1553, un an avant son frère Jean-Louis,
appelé d’abord le sieur de Caumont. Envoyés en 1567 à Paris, les deux frères étudient
durant trois ans au Collège de Navarre, puis entrent dans le métier des armes,
servant dans la compagnie de leur père. Les biens de Jean de La Valette sont
ravagés par les huguenots au début de 1570, et à sa mort en 1575, Bernard
hérite de la seigneurie de La Valette en piteux état.
En 1573, au
siège de La Rochelle, le duc de Guise présente Bernard et Jean-Louis à Henri de
France, duc d’Anjou et futur Henri III, mais ils ne participent pas au voyage
en Pologne et c’est bien après l’avènement du roi qu’ils entrent véritablement
à son service. Car s’ils bénéficient, à la cour, de la réputation de leur père,
ils ne parviennent pas à obtenir la survivance de ses charges. Jean-Louis finit
par se mettre au service de François, duc d’Anjou, puis s’offre au roi qui
l’apprécie et l’élève rapidement : à partir de 1579 il est déjà l’un des
grands favoris ou mignons de Henri III avec Joyeuse et d’O. La position de plus
en plus importante de son frère cadet profite beaucoup à Bernard qui devient
gentilhomme ordinaire de la chambre, maître de camp de la cavalerie légère
(1579), gouverneur de Saluces (1580), capitaine de cent hommes d’armes (1581), et
entre dans le cercle très restreint des fidèles du roi, l’accompagnant souvent
dans ses déplacements et ses retraites spirituelles. En 1582, Jean-Louis, duc
d’Épernon depuis un an, devient premier gentilhomme de la chambre et cède à
Bernard sa charge de chambellan. La même année, Bernard entre au Conseil des
affaires qui ne compte que huit membres, dont Épernon, Joyeuse, Villequier, du
Bouchage et Retz. Le 21 décembre 1583, La Valette est reçu dans l’Ordre de
Saint Esprit (6e promotion). Mais c’est avant tout un militaire et
il est plus souvent en campagne qu’à la cour.
Sa fortune est assurée grâce à ses pensions cumulées et aux divers
dons royaux, telles les 200 000
livres tournois qu’il reçoit à l’occasion de son mariage,
le 13 février 1582, avec Anne de Batarnay du Bouchage, dame d’Anton, tante du duc de Joyeuse. À l’occasion de ces
noces, le roi tient la place du père de la mariée. Le contrat de mariage
est rédigé selon les commandements du roi, et le jour de la cérémonie Anne
reçoit de la reine mère des bijoux.
Toutefois, les noces sont nettement plus modestes que celles de Joyeuse un an
plus tôt. Malgré leur différence d’âge d’une douzaine d’années, Bernard
et Anne semblent avoir été unis par un sincère attachement. Dans ses lettres,
Joyeuse surnomme Bernard « nostre amoureus » et Anne paraît perdue lorsque
son époux part en mission. Ils n’ont pas d’enfants. La Valette joue un rôle
d’intermédiaire entre les deux lignages les plus influents à la cour.
L’officialisation,
en 1585, du statut de favori de Joyeuse et d’Épernon et la place officieuse que
tiennent leurs frères, du Bouchage et Bernard de La Valette, provoquent un
mécontentement à la cour, et le départ de Bernard est exigé au même titre que
celui de son frère cadet. Lieutenant général en Dauphiné dès 1585, il est à la
tête de l’armée royale qui stationne dans la province et combat les
protestants.
Obligé de
quitter la cour en 1588 sous la pression de la Ligue à laquelle les deux frères
sont fermement opposés, le duc d’Épernon cède à Bernard le gouvernement de
Provence, puis celle de l’amiral de France, mais les États généraux ne lui
permettent pas de cumuler les deux charges et le roi donne celle de l’amiral à
Beauvais-Nangis dès février 1589. Sous Henri IV, Bernard reste fidèle au roi et
prend la tête des opérations militaires en Provence. Il est tué au siège de
Roquebrune d’un coup de mousquet, le 11 février 1592.